Amund Teigmo devant un tipi lapon, le
lavvu. Karasjok
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Une
aurore boréale danse dans le ciel. Si,
enthousiasmé par ce spectacle, quelquun
savisait dagiter un foulard blanc ou
lançait le jojk, un cri de défi utilisé pour
invoquer les esprits, la somptueuse draperie
lumineuse pourrait descendre du ciel et
envelopper limpertinent pour lemmener
à jamais, aiment à raconter les Lapons. Amund
Teigmo ne bouge en tout cas pas un cil, debout
devant son lavvu le tipi lapon
vêtu dun lourd manteau de renne et
dun pantalon de peau. Seules entorses à la
tradition, un chapeau en peau de phoque et des
bottes modernes. A peine rentré de sa
consultation à lhôpital de Karasjok, il
na pas eu le temps denfiler les
chausses laponnes, très longues à attacher.
Bottes traditionnelles ou non, le contraste est
saisissant entre limage du jeune médecin
hospitalier en blouse blanche, jeans et baskets,
rencontré quelques heures plus tôt, et celle du
Sami * en plein accord avec la nature.
La vie dAmund sorganise autour de ces
deux axes: la médecine générale classique
pratiquée au Centre de santé de Karasjok, un
petit établissement qui compte 24 lits pour les
patients chroniques, et sa consultation privée
à la Teigmo Helsegaard, la ferme de santé
Teigmo, à quelques kilomètres de là, en pleine
nature.
Les gens viennent se faire soigner de loin à la
ronde au Centre de santé. En premier lieu parce
quils savent que les consultants sont pour
la plupart Samis, ce qui est rare. En second lieu
parce quils y trouvent des spécialistes.
Dans la salle dattente, des brochures
rédigées en norvégien et en lapon expliquent
la vie hospitalière aux patients en suivant, en
photos, le parcours dune femme vêtue du
costume traditionnel. «Jai entrepris une
recherche dans le cadre de ma thèse sur la
façon dont se passent les séjours hospitaliers
des Samis en Norvège. Je me suis aperçu que
médecins et patients narrivaient pas à
communiquer de façon satisfaisante, faute
dinterprète. Si bien que ce groupe de
malades est hospitalisé plus longtemps et subit
plus dexamens que les Norvégiens, tout en
étant moins bien soigné.»
Rares sont les jeunes Samis qui entreprennent des
études supérieures et plus rares encore ceux
qui retournent au pays pour faire bénéficier
leurs compatriotes de leur art. Amund est revenu,
malgré les salaires plus alléchants offerts
dans le sud ou à létranger. «Je gagne
moins ici cest vrai, mais ma qualité de
vie est bien supérieure. Je peux pêcher,
atteler mes chiens, je vis proche de la nature.
Et je voulais faire quelque chose pour les gens
dici. Dautant plus quils
manquent de médecins.»
Fier de sa culture, il a voulu lutiliser en
tant que partie intégrante des soins, de même
que la nature et les animaux. Son gros chat roux
qui suit, intéressé, la visite de la ferme,
malgré la neige et une température avoisinant
les 18 degrés, est, paraît-il, un
excellent docteur. Les huskies également, même
si leur tâche principale est de tirer les
traîneaux.
Quelle est plus précisément la méthode
proposée par ce docteur de 30 ans, qui traite
aussi bien des cas psychiatriques que des
personnes handicapées? «Avant tout, je
mhabille en costume traditionnel. Les gens
savent ainsi que je les comprends, contrairement
à la plupart des médecins qui ne parlent pas
leur langue. Ensuite jutilise une approche
convenant à la culture samie. Cela na par
exemple pas de sens denfermer un jeune qui
a des problèmes psychiatriques dans une
institution, il ne peut que régresser car il est
coupé de son monde. Mieux vaut lencourager
à faire ce quil connaît, de manière à
renforcer lestime quil a de
lui-même. Ce peut être en faisant un feu dans
le lavvu, ou en soccupant des animaux, ou
encore en créant des objets artisanaux. Les
mêmes méthodes sont valables pour les personnes
ayant besoin dune rééducation ou
dune stimulation musculaire. Il est
beaucoup plus enrichissant de procéder aux
exercices nécessaires en conduisant un traîneau
à chiens ou en pagayant dans un canoë
quen répétant des mouvements vides de
sens.»
Puisque le médecin utilise les ressources de la
tradition pour soigner, il pourrait également
recourir au savoir des chamans. Ces hommes
tenaient autrefois une place centrale dans la vie
des Samis, qui faisaient appel à eux pour être
conseillés et soignés. Mais, si les vrais
chamans existent toujours, ils sont dun
abord extrêmement difficile, seuls sont visibles
de pâles copies à usage touristique. Et Amund
ne voudrait en aucun cas que son travail, aussi
original soit-il, prête à confusion. Car sa
démarche est avant tout scientifique.
«Il faut être très prudent lorsque lon
parle de chamanisme. Les Samis ont été
convertis de force par lEglise luthérienne
à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.
De nombreux chamans qui refusaient la voie de
lEglise ont été tués ou mis en prison.
Leurs tambours rituels, utilisés pour entrer en
transe, ont été brûlés. Depuis cette époque,
les Samis, qui sont très religieux, pensent
pécher en les fréquentant. Et, si je sais que
70% de ma clientèle a recours à des
guérisseurs (tels quon en trouve dans
toutes les campagnes dEurope), voire 90%
pour les cas psychiatriques, je nen connais
aucun qui se soit adressé à un chaman.»
Ce passage quasi systématique par les
guérisseurs se fait souvent au détriment
dune consultation chez le médecin. Ce qui
a parfois des conséquences graves. Le docteur
des Samis espère aussi par sa démarche attirer
des personnes qui ne sadresseraient pas,
sinon, à un homme en blouse blanche.
* Nom que se donnent de préférence les Lapons.
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